Le disque de la mort qui tue
Un samedi comme tant d'autres. Il s'est gelé les burnes à vendre de petits gâteaux pour gagner un peu d'argent. Du racket de pauvres pour le bien de l'école publique. Désespérant. Mais les grands pontes du Ministère rechignent à livrer de l'argent, qui plus est pour des voyages scolaires. Les gamins ne sont plus assez en classe, il paraît. Ce sont des cons qui voyagent tout le temps qui balancent ce genre de débilités. Enfin, depuis le début de sa courte carrière, il s'est fait une raison et les lubies ministérielles lui passent au-dessus de la tête.
Il est arrivé chez lui et on l'a prévenu de la réception d'un colis. Il n'attendait rien de spécial pourtant. Une petite surprise qui allait le réchauffer. Le contenu semblait effectivement réjouir sa compagne et provoquer chez elle une hilarité communicative. Il se saisit du paquet et l'ouvrit. Le choc. L'objet n'était qu'un banal disque. Enfin banal...
Sur la pochette un gus qu'il connaît s'exhibait dans un lieu public avec pour seul attribut un petit orgue, pas très épais, qui parvenait néanmoins à dissimuler ses parties génitales. Sur l'arrière de la pochette, en revanche, rien ne cachait son cul et on peut y voir que l'homme a commis quelques excès alimentaires ces derniers temps. Il remarqua la cure de jouvence que devait suivre son ami puisque son postérieur s'ornait de quelques éruptions acnéiques.
Ainsi un troisième larron se lançait dans la compétition infernale des compils... La belle affaire. Un rapide coup d'oeil sur la playlist le rassura. Cette compil allait cartonner... si on était en 1975. Pour l'heure pas de risque, que des morts ou presque qui chantent. Il lui suggérera, la prochaine fois qu'il le verrait, de faire la tournée des maisons de retraite, il a un public à conquérir. Il devra peut-être se trouver un nouveau costume pour l'occasion.
Mais notre homme est un juste. Une crapule juste diraient certains. Toujours est-il qu'il ne voulut pas se laisser aller à la médisance, aux préjugés et aux railleries faciles, alors il alluma sa chaine, ouvrit le lecteur disque et plaça la galette. Il pressa "PLAY" et le cauchemar commença...
Morceau n°2 : Après une courte introduction aux accents situationnistes, on entrait dans le vif du sujet : Reggiani. L'homme commença à voir la vie en noir. Sa compagne aussi.
Morceau n°5 : La morosité rongeait toujours le couple, même Nougaro le raviva pas. C'est alors qu'une pointe d'humour les fit légèrement sourire. Mais bon elle émanait d'un pédophile et d'un trublion devenu donneur de leçons et directeur d'une grande radio. Alors ça gâchait le plaisir...
Morceau n°11 : Ils étaient d'accord avec le chanteur. Pour survivre à cette expérience auditive peut-être fallait-il boire comme un trou. Ils décidèrent de s'enivrer pour supporter.
Morceaux n°12 à n°17 : Ils se contorsionnèrent. De l'urticaire couvrait leur peau. Ils furent pris de spasmes. Leurs sphincters se relâchèrent. Leurs yeux se révulsèrent. La femme décida d'ouvrir le robinet à gaz. Lui, partit à la salle, à la recherche de pilules de toutes sortes qu'ils avalèrent avec la dernière bouteille qu'il leur restait.
Morceau n°18 : La voix d'Henri Tachan envahit la demeure. L'homme partit chercher deux cordes au sous-sol. Il fit un coulant à chacune, les passa par-dessus une poutre du salon. La femme alluma des bougies, espérant que le volume du gaz fusse bientôt suffisant pour tout faire péter. Ils se serrèrent dans les bras, grimpèrent sur une chaise puis firent de leur noeud coulant un macabre cache-col...
Morceau n°19 : La chaise bascula. La chanson leur fit penser à la ville où ils s'étaient connus et où ils avaient nourris l'espoir de vivre heureux longtemps ensemble. Ils n'avaient pas eu la chance d'avoir des amis mélomanes.
Morceau n°20. Ils expirèrent leur dernier souffle sur les premières notes du "Requiem pour un con"... La force des coïncidences.
Morceau n°21 : Brassens ne finit pas sa prière. La baraque sauta dans une magnifique explosion détruisant à tout jamais ce disque diabolique qui sous ses beaux apparats avait mené, par son contenu, un couple à la Mort.