Le seigneur des arceaux
J'ai reçu, la semaine dernière, mon ami l'éthologue. Une petite visite organisée au dernier moment mais qui fut fort sympathique. Tout sens en éveil, notre éternel étudiant, se montra fort curieux de suivre une journée de classe. Aussi, pour le satisfaire, je l'emmenai avec moi pour qu'il puisse constater par lui-même ce qu'est l'essence même de la pédagogie, courant constructiviste (nettement discréditée par notre hiérarchie, mais rien à branler, je continue).
Autant le dire de suite, notre sociologue en herbe fut subjugué par le spectacle que mes élèves lui offrirent. Mais passons, je ne suis pas là pour m'envoyer des fleurs.
Non, car si mon ami a pu mettre en pratique ses qualités d'observateur du genre humain, j'ai pu, moi aussi, m'essayer à cet exercice en l'observant pendant les récréations qui, et ce n'est pas Janot44 qui me contredira, sont assez révélatrices de la personnalité des élèves.
En effet, en observant l'éthologue aux pauses du matin et de l'après-midi, j'ai compris. J'ai compris les raisons profondes de son désir de venir me voir à l'école. La pédagogie ? Que nenni... La sociologie de l'éducation ? Absolument pas ! Une seule motivation : se prouver qu'il pouvait encore jouer au basket...
Dès les premières secondes dehors, à l'instant où les sons du ballon rebondissant sur le macadam parvinrent à ses oreilles (qui présentent, par ailleurs, une extra-sensibilité aux basses, infrabasses et tutti quanti...), il s'élança sur le terrain pour se joindre aux équipes déjà formées.
Et là ce fut un triste spectacle. L'homme a vieilli, il n'a plus les jambes, ni la ligne de ses dix-huit ans. Alors bien sûr, il était supérieur aux élèves mais de si peu que ce triste constat ne manqua pas de lui échapper. Pourtant il se prit au jeu, voulant à tout prix marquer sa domination sur ses adversaires de plus de vingt ans ses cadets... De ce grand corps rouillé se débattant, dribblant, narguant de pauvres petits êtres, aucune fierté ne put en être tirée. Il l'aura compris de lui-même, quand, pour en imposer, il tenta un dunk mais dut se résigner à le transformer en lay-up, tant au plus de son envol, ses mains étaient loin des filets...
Je ne sais pas quelles furent les conséquences profondes de ce traumatisme pour cette ancienne terreur des raquettes, toujours est-il que le lendemain, il resta à la maison...