La caissière de chez Leclerc

1 février 2008

Vendredi. Christelle embauche à 15h00, pour finir à 22. Décision de la Direction qui a vu qu'on pouvait faire du chiffre sur le dernier créneau. 7H00 de rang, elle va voir défiler la quasi-totalité de ce que notre société avancée nous permet de consommer.
Tou-tip. Tou-tip. Tou-tip. Ce putain de bruit qui valide le passage du code-barre devant le laser. Toujours au même rythme dans la mesure du possible. Si on faillit un peu, on nous le rappelle. La chef de caisse. Une ancienne passée maton et qui a oublié ses souffrances passées au prix d'une lamentable promotion.
Tou-tip. Tou-tip. Tou-tip. Jusqu'à 22h ce soir. Il y avait une réunion à l'école, elle ne pourra pas y aller.Elle ne peut jamais y aller. Elle est jeune dans le métier. Elle a pas le choix, le vendredi, c'est pour elle. Le samedi aussi. Trois fois sur quatre.
Tou-tip. Tou-tip. Tou-tip. 7h à se taper des clients. Sourire tout le temps. Pas le droit de faire la gueule. Pas le droit de répondre aux chieurs. Les ados pustuleux qui font les marioles. Les vicelards qui ne décollent les yeux de son décolleté. Puis ceux qui se permettent des réflexions déplacées. Pas le droit de répondre. Il y en a pas mal qui voudraient tailler une bavette, souvent des personnes seules. Comment leur dire qu'elle n'a pas le temps ? ou pas le droit ? ce qui revient au même.
Tou-tip. Tou-tip. Tou-tip. Tous les jours, un échantillon de la société française, lui passe sous les yeux. des gens biens, des cons, des vieux, des jeunes, des femmes avec ou sans enfant, des hommes seuls ou pas, des retraités, des ouvriers, des enseignants, des abrutis, des paysans, des gens modestes de plus en plus, des barbus, des rasés de près, des moustachus, des décolorées, des mal-habillées, des arrogants, des babas cool assez rares, des célibataires, des couples, des connards, des sympas. Les sociologues devraient être des caissières.
Tou-tip. Tou-tip. Tou-tip. Le plus dur dans le métier, c'est ce bout de papier qu'elle reçoit chaque mois. Plutôt à la fin. Avec dans une case intitulée "Net à Payer", un nombre dérisoire d'euros. Alors quand elle entendait parler d'une grève, elle a motivé ses collègues. Enfin essayé de les motiver. Rien. L'expression "pression de la hiérarchie" est devenue une réalité.
Tou-tip. Tou-tip. Tou-tip. 22h05. Christelle monte dans sa voiture et part. La radio fonctionne. Un flash info. Les patrons de la grande distribution constate l' "échec" de cette journée de mobilisation. Les larmes lui montent aux yeux. Elle ravale un sanglot. Puis se dit que jusqu'en mars, elle aura au moins ses dimanches pour décompresser. Jusqu'en mars seulement...

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